Gigi est publié dans Présent, hebdomadaire politique et littéraire lyonnais, du 28 octobre au 24 novembre 1942. Le 27 juillet de la même année, une amie de Colette – “Un être si pur, si écarté de tout ce qui est laid (lettre à Renée Hamon)” – Misz Hertz, qu’elle connaît depuis la Première guerre, se suicide en absorbant des barbituriques ; juive et polonaise, elle ne voulait pas que son mari fût inquiété à cause d’elle. Quelques jours plus tôt, vingt mille Juifs sont envoyés à Drancy. C’est dans ce contexte que Colette, réagissant aux duretés de l’occupation allemande par un repli sur son passé, se documente sur une époque révolue – les années 1898-1900. Le sujet de Gigi appartient à un autre âge : La Souris d’Edouard Pailleron, comédie jouée à la Comédie française le 18 novembre 1887, ou Mariage de Chiffon, roman de Gyp publié en 1894, racontent déjà comment une femme, jusqu’alors traitée en petite fille, réussit à être aimée et à épouser un homme plus âgé qu’elle. Gigi connaît après la guerre un succès immédiat. Le roman est adapté au théâtre (au Fulton Theatre de Broadway avec Audrey Hepburn en 1951) et au cinéma (Danièle Delorme incarne Gigi en 1948 dans un film de Jacqueline Audry; Vincente Minelli fait appel à Leslie Caron en 1959 pour le rôle ; Ophüls écrit à Colette en 1948 dans l'intention de s'emparer du sujet). Colette, mariée trois fois, a perdu depuis longtemps la naïveté de son héroïne. Avec Willy (de 1893 à 1907), elle cultive dans ses Claudine l’image d’une femme polissonne et indécente, faisant “l’enfant et la follette sans discrétion” pour satisfaire une attente masculine qui profite de la candeur des jeunes filles pour satisfaire leurs fantasmes érotiques – l’innocence est utilisée à des fins obscènes. Avec son deuxième mari, Henry de Jouvenel (ministre de l’Instruction publique en 1924), qu’elle nomme “Sidi” ou “Le Pacha”, de 1912 à 1924, elle fait l’expérience d’une vie de Harem, seule à attendre un mari volage : “Je me laisse aller à un éphémère bonheur de brute qui a fichtre bien son prix ; vous savez ce que vaut, après des heures, des semaines sinistres, la présence de l’être nécessaire… Je me tais et me repais (Lettres de la Vagabonde, 17 août 1912)”. Son troisième mariage avec Maurice Goudeket, plus jeune de seize ans, se fait sous le signe de l’amitié : Colette se délivre de sa sujétion amoureuse.
Portrait de la femme en mineure
Difficile d’imaginer la condition féminine en France au XIXe siècle : juridiquement parlant, la femme mariée y est traitée comme une mineure sur laquelle le mari a le pouvoir d'un père sur son enfant. Pour Gigi, être jeune fille ou femme ne change pas grand-chose à sa vie. Selon l’article 213 du Code civil français, “Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari” en vertu du préjugé qui veut que le sexe féminin soit plus fragile. La fragilité autorise un contrôle de la mariée par le marié. L’homme concentre en lui les pouvoirs coercitifs, policiers, providentiels, des gouvernants sur leurs administrés. C’est ainsi que la femme prend le nom de son époux sans qu’aucun texte juridique ne l’y oblige. Ce nom lui est seulement prêté : en cas de divorce, il peut lui être repris – la femme a l’identité qu’un père ou un mari a bien voulu lui donner, comme un immigré a la nationalité du pays qui l’accueille. Les actes de correction ou de vivacité maritale sur la personne de l’épouse ne sont, dans ce cadre là, que des moyens parmi d’autres de se faire obéir. Le droit de regard, l’interception par le mari de la correspondance de l’épouse préviennent, quant à eux, des “fugues” ou des “fuites” éventuelles, un dispersement de l’unité familiale. La force armée peut être requise pour ramener une femme au domicile conjugal. Le mari a en contrepartie le devoir de pourvoir au nécessaire (nourriture, logement, vêtement…) ainsi qu’à l’argent de poche de sa femme. La gouvernance de l’homme sur une femme infantilisée trouve dans Gigi une tentative de démenti à la faveur d’un phénomène social naissant : la reconnaissance du couple amoureux qu’on oppose au couple marié, en ménage, en famille. De plus en plus, en effet, au tournant du XXe siècle, on laisse à la jeune fille la liberté de choisir son mari ; une place est faite à ses préférences et plus encore à ses inclinations : on lui permet d’aimer, quitte à contredire les us et coutumes qui mettent l’amour après le mariage – la femme n’attend plus d’être mariée, d’avoir acquis une identité sociale par sa dot, pour éprouver des sentiments. D’où l’insistance de Gigi : être aimée comme elle aime ; échapper au conventionnel d’une vie mondaine où elle sera traitée en conquête de l’homme, faire-valoir négligeable de la masculinité qui l’entretient. Paradoxalement, le mariage ne réunit plus des fortunes, mais des cœurs. Se marier, c’est engager “toute” sa personne. S’opère un renversement des valeurs établies : l’amour émancipe la jeune fille de la tutelle paternelle du mari en plaçant l’homme et la femme à égalité devant leur désir revendiqué. La fragilité inhérente aux êtres dépourvus de raison (l’enfant, la femme, le fou…) touche désormais un homme forcé de reconnaître le côté peu rationnel de ses sentiments. Par le mariage, le plus intime est rendu public ; les époux s’humanisent au lieu de se socialiser : la déclaration d’amour est faite à la société. Les amoureux n’ont plus à se cacher de leurs parents ; les mariés, de même, n’ont plus à trouver hors du foyer familial l’affection qui leur manque. Conséquence : l’amour institutionnalisé garantit une pérennité naturelle du couple en société. Pourquoi Colette évoque-t-elle cette révolution des mœurs à presque un demi-siècle de distance ? Que cherche-t-elle à revivre ? Son autobiographie est faite d’allers-retours dans le temps. Le portrait de Gigi est ainsi moins le rappel d’un moment de sa vie, une façon de ranger une fois pour toutes un de ses souvenirs en le couchant sur le papier, que l’occasion de raviver une de ses blessures vives : “Force m’est de reconnaître qu’avec Gigi j’ai dû, comme disent les dentistes, “toucher un nerf” (“Gigi”, article écrit avant la création de la pièce au théâtre des Arts et publié dans Le Figaro du 19 février 1954)”. Son mariage avec Willy comme celui avec Henry de Jouvenel lui font encore mal. Gigi n’est peut-être pas l’ingénue qu’on croit. Pour Colette, c’est “l’attardée” – titre qu’elle donna tout d’abord à ce court roman. Gigi, en effet, fait moins triompher l’amour sur le mariage qu’elle ne s’illusionne sur lui. Avec ou sans amour, le mariage permet à l’homme de posséder la femme comme n’importe quel bien. D’où la tendance de Colette à réduire l’homme à sa cupidité – Gaston Lachaille n’échappe pas à la règle : “Son instinct commercial et sa défiance d’homme riche le gardaient bien (Gigi)”. Dans Mes Apprentissages, elle se souvient ainsi du conseil qu’elle reçut d’une certaine Mme Otero – sa Mme Alvarez à elle – : “Mon petit, disait-elle, tu m’as pas l’air très dégourdie… Souviens-toi qu’il y a toujours, dans la vie d’un homme même avare, un moment où il ouvre toute grande sa main… – Le moment de la passion ? – Non. Celui où tu lui tords le poignet.”. La fragilité de la femme mariée tient en retour à son inaptitude à posséder, à disposer, d'où sa dépendance nécessaire : “J’ai commencé l’apprentissage d’une existence… sous une liberté illusoire, des us surannés, voire une dépendance orientale : l’existence de la femme entretenue… Nous pouvions être deux amis, qui marchent parallèlement de l’un et de l’autre côté de ce cristal dur, en ignorant qu’il nous sépare. Mais l’amour va nous jeter l’un vers l’autre et je tremble de m’y briser la première, moi la plus fragile (L’Entrave)”. L'idée de la femme libre est impensable. Les suffragettes dégoûtent Colette, ne méritent que le “fouet et le harem” : “Ma liberté me pèse, mon indépendance m’excède ; ce que je cherche depuis des mois – depuis longtemps –, c’était, sans m’en douter, un maître. Les femmes libres ne sont pas des femmes (Claudine à Paris)”. Cet anti-féminisme apparent exprime chez Colette une résignation face à des lois qu’elle croit plus naturelles que sociales : rien de plus fatal que d’appartenir à l’homme.
Alexandre WONG
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DaniÈLE Delorme
Née le 9 octobre 1926 à Levallois-Perret, Danièle est l’une des quatre filles du peintre André Girard. Très jeune, elle envisage une carrière de concertiste, et entreprend des études de piano que la guerre et l’occupation allemande interrompent. Réfugiée à Cannes, elle suit des cours d’art dramatique sous la direction de Jean Wall (en compagnie de Gérard Philippe), puis au terme d’une période d’engagement dans la Résistance, elle emménage à Paris pour étudier auprès de René Simon. Dès 1942, l’impétrante est à pied d’œuvre, tant au cinéma, sous les auspices de Marc Allégret, qu’au théâtre sous la direction de Claude Dauphin, dans Poil de Carotte. Bernard Blier qui est alors son partenaire des Petites du quai aux fleurs lui trouve le pseudonyme qu’elle porte encore aujourd’hui. A la libération, la jeune comédienne multiplie les apparitions à l’écran, notamment dans Les jeux sont faits (J. Delannoy, 1947) et Impasse des Deux Anges (M. Tourneur, 1948). Mais l’interprétation qu’elle donne de la Gigi de Colette (Jacqueline Audry, 1949) lui apporte une immédiate renommée. Elle tourne alors de très nombreux films : La Cage aux filles (M. Cloche, 1949), Sans laisser d’adresse (J.-P. Le Chanois, 1951), La Jeune Folle (Y. Allégret, 1952), Le Guérisseur (Y. Ciampi, 1954), Le Dossier noir (A. Cayatte, 1955). Mais afin d’échapper au stéréotype de l’héroïne marquée par le destin que lui propose le cinéma, elle se tourne vers le théâtre, qui lui offre des rôles plus diversifiés, dans des pièces d’Huxley, Anouilh, Ibsen, Salacrou, Shaw, Claudel ou Pirandello. En 1956, elle fonde avec Yves Robert la société de production La Guéville qui obtient rapidement un large succès populaire avec La Guerre des boutons (Y. Robert, 1962) et s’attache ensuite à donner vie à des films originaux (La Drôlesse de Jacques Doillon en 1979). En 1980 et en 1981, l’actrice et productrice préside la Commission d’avance sur recettes.
Ecouter GIGI - Colette (livre audio) © Frémeaux & Associés / Frémeaux & Associés est l'éditeur mondial de référence du patrimoine sonore musical, parlé, et biologique. Récompensés par plus de 800 distinctions dont le trés prestigieux "Grand Prix in honorem de l'Académie Charles Cros", les catalogues de Frémeaux & Associés ont pour objet de conserver et de mettre à la disposition du public une base muséographique universelle des enregistrements provenant de l'histoire phonographique et radiophonique. Ce fonds qui se refuse à tout déréférencement constitue notre mémoire collective. Le texte lu, l'archive ou le document sonore radiophonique, le disque littéraire ou livre audio, l'histoire racontée, le discours de l'homme politique ou le cours du philosophe, la lecture d'un texte par un comédien (livres audio) sont des disques parlés appartenant au concept de la librairie sonore. (frémeaux, frémaux, frémau, frémaud, frémault, frémo, frémont, fermeaux, fremeaux, fremaux, fremau, fremaud, fremault, fremo, fremont, CD audio, 78 tours, disques anciens, CD à acheter, écouter des vieux enregistrements, cours sur CD, entretiens à écouter, discours d'hommes politiques, livres audio, textes lus, disques parlés, théâtre sonore, création radiophonique, lectures historiques, audilivre, audiobook, audio book, livre parlant, livre-parlant, livre parlé, livre sonore, livre lu, livre-à-écouter, audio livre, audio-livre, lecture à voix haute, entretiens à haute voix, parole enregistrée, etc...). Les livres audio sont disponibles sous forme de CD chez les libraires et les disquaires, ainsi qu’en VPC. Enfin certains enregistrements de diction peuvent être écoutés par téléchargement auprès de sites de téléchargement légal.