La politique est-elle esclave de la finance?
Christine Lagarde & Jean-Paul Fitoussi
La politique est-elle esclave de la finance ?
Jean-Paul Fitoussi et Christine Lagarde
Animé par Grégoire Biseau
Au lendemain de cette conférence, Grégoire Biseau, qui en était le modérateur, publiait l’article suivant : Gouvernement : la croissance Mordicus par Grégoire BISEAU (Libération)
Malgré des indicateurs au rouge, Matignon et Bercy continuent d’assurer que l’augmentation du PIB dépassera 2 % cette année. «Si la croissance mollit aujourd’hui, eh bien, on va la durcir.» Hier, à Grenoble, où Libération organise son forum Vive la politique jusqu’à demain, la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, a tenu à marteler que l’objectif de croissance du gouvernement pour 2007 (entre 2 et 2,5 %) était encore parfaitement réaliste. Quitte à y mettre un peu de mauvaise foi. Car en marge du forum, à une journaliste qui lui demandait si le gouvernement «devait s’inquiéter des mauvais chiffres récents», la ministre a fait sa maligne en répondant : «Mais quels mauvais chiffres? Il n’y a pas de mauvais chiffres.» En l’espace d’une semaine, l’OCDE puis la Commission européenne ont chacune fortement révisé à la baisse les prévisions de la croissance française, respectivement à 1,8 % et à 1,9 %. Des réajustements d’autant plus préoccupants qu’ils n’intègrent pas les effets de la crise financière de cet été, et donc par le très probable ralentissement de la croissance américaine et ses effets sur l’UE. «On sera probablement dans le bas de la fourchette à la fin de l’année. On est donc dans l’épaisseur du trait», a tenté de minimiser la ministre, à l’occasion d’un débat qui l’opposait à Jean-Paul Fitoussi, le président de l’OFCE, le centre de recherche en économies de Sciences-Po. «Connerie». Dans l’entourage de la ministre, on finit même par s’agacer de ce début de polémique. «Tout cela c’est de la connerie. On parle de 0,1 et 0,2 point de différence. C’est marginal.» La ministre a même trouvé une raison de ne pas désespérer puisque l’Insee a revu à la hausse la création d’emplois salariés (+ 54 000 postes) au deuxième trimestre. Soit une progression de 1,7 % sur un an. «Cela veut bien dire que la croissance française est plus vigoureuse qu’on le dit», se satisfait-on à Bercy. Un enthousiasme que modèrent plusieurs économistes : ce chiffre «plutôt bon [qui] constitue plus un soulagement qu’un exploit, ne doit pas faire oublier les difficultés du marché de l’emploi», a commenté Alexander Law, chef économiste du cabinet d’analyse Xerfi. «Chardons». En tout cas, le déplacement aujourd’hui de Christine Lagarde à Porto, où elle retrouvera tous ses collègues des Finances de l’UE, ne sera pas des plus confortables (lire page ci-contre). «On ne va pas être accueilli avec des roses, c’est sûr. Mais pas avec des chardons, non plus», essaie-t-on de relativiser à Bercy. Car chaque dixième de point de croissance perdu, c’est un déficit budgétaire qui enfle un peu plus. Or en faisant voter son paquet fiscal au début de l’été (qui devrait coûter 15 milliards d’euros en année pleine), le gouvernement sait qu’il ne dispose plus d’aucune réserve pour compenser les baisses de rentrée fiscale. «La Commission veut des actes. Et elle considère que les réformes structurelles qu’elle attend du gouvernement français tardent à venir. Mais c’est normal, on ne peut pas tout faire en quatre mois. L’Allemagne est bien placée pour savoir que cela prend du temps», explique-t-on dans l’entourage de la ministre. «Délicate». En tout cas, hier après-midi sur l’estrade du grand auditorium de la maison de la culture de Grenoble, la ministre a trouvé en Jean- Paul Fitoussi un soutien compatissant. «Quels sont les critères de la vertu en Europe ? C’est la réforme structurelle et l’équilibre budgétaire, alors qu’on pourrait penser que ce sont la croissance et l’emploi», a-t-il déclaré. Avant de s’adresser directement à Lagarde : «Je comprends que vous allez être dans une situation délicate. Mais il s’agit d’un problème qui devrait être résolu par une négociation, au sein du conseil européen, pour définir une fois pour toutes la hiérarchie des critères [de la performance économique, ndlr] en Europe.» La ministre était tout sourire. Evidemment.
Grégoire BISEAU, Libération 14/09/2007
© 2008 Libération - Frémeaux & Associés
Jean-Paul Fitoussi, Président de l’Office français des conjonctures économiques.
Ma réponse courte est oui, mais seulement si la politique y consent ! Après la crise qui a marqué l’été, la question posée peut paraître paradoxale : les marchés financiers ont lancé un appel de détresse au politique, et c’est à la parole des banquiers centraux, en principe encastrés dans l’ordre démocratique, que les marchés se vouent pour éviter la catastrophe. La fonction supposée des marchés est de coordonner les plans futurs des agents économiques. Parce que l’on imagine que cette mission est aisément accomplie, la rhétorique prend le pas sur la réalité : les marchés financiers seraient capables d’évaluer les conséquences futures des décisions présentes, et donc de sanctionner les agents, y compris publics, dont les politiques seraient mauvaises. Leur magistère rendrait ainsi seconde la souveraineté des Etats. Les crises financières récurrentes montrent à quel point, au contraire, ils peuvent se tromper systématiquement, à quel point leur connaissance du présent et, a fortiori, du futur est lacunaire. Ils ont dès lors besoin de repères, que seul l’Etat peut donner : ce sont la valorisation des actifs sans risques (la dette publique) et le taux d’intérêt à court terme qui, de concert avec les interventions des banques centrales, définissent la liquidité du marché. On pourrait donc penser à une dialectique maître-serviteur entre la finance et la politique, s’il n’existait un maître en dernier ressort, qui est la Banque centrale.
Jean-Paul FITOUSSI, Libération cahier spécial du 13/09/2007
© 2008 Libération - Frémeaux & Associés
Christine Lagarde, Ministre de l’Economie.
Chercher à établir une hiérarchie entre le politique et le financier, c’est mal poser le problème. Un marché laissé à lui-même ne peut que déboucher sur la confusion, souvent au détriment de l’économie de marché elle-même. A l’inverse, quand le politique cherche à diriger l’économie, il lui impose des plans artificiels qui finissent par l’asphyxier. D’un côté, le marché se voudrait omnipotent ; de l’autre, le politique se croit omniscient. Opter pour un juste milieu est une facilité intellectuelle, souvent choisie par la gauche, qui reprend la vision désormais archaïque de deux forces antagonistes en présence. L’histoire le montre : le marché et le politique doivent s’entraider de manière pragmatique. Le politique fixe au marché des règles qui lui permettent de mieux fonctionner, en soutenant la concurrence, en imposant la transparence, en assurant la sécurité des contrats, en facilitant la circulation de l’information, en régulant les échanges. Pour remédier aux excès du marché il ne faut pas moins de marché, mais plus de marché ; ce plus, seul l’Etat peut le donner. Quant au marché, il fournit au politique non seulement des fonds (sans la libéralisation des marchés de capitaux, les Etats ne pourraient gérer leur dette et seraient en crise permanente), mais aussi le tissu économique sur lequel un pays peut prospérer, et l’Etat opérer sa redistribution. Sans le marché, l’Etat resterait une coquille vide. Le jeu des intérêts contribue à l’intérêt général, et l’intérêt général garantit le jeu des intérêts.
Christine LAGARDE, Libération cahier spécial du 13/09/2007
© 2008 Libération - Frémeaux & Associés
Ecouter La politique est-elle esclave de la finance? avec Christine Lagarde et Jean-Paul Fitoussi (livre audio) © Frémeaux & Associés. Frémeaux & Associés est l'éditeur mondial de référence du patrimoine sonore musical, parlé, et biologique. Récompensés par plus de 800 distinctions dont le trés prestigieux "Grand Prix in honorem de l'Académie Charles Cros", les catalogues de Frémeaux & Associés ont pour objet de conserver et de mettre à la disposition du public une base muséographique universelle des enregistrements provenant de l'histoire phonographique et radiophonique. Ce fonds qui se refuse à tout déréférencement constitue notre mémoire collective. Frémeaux & Associés - La Librairie Sonore est partenaire de Radio France, Radio France Internationale, L’Institut National de l’Audiovisuel, l’Assemblée Nationale, l’Historial de la Grande Guerre, le Mémorial de Caen et assure l’édition sonore d’ouvrages en accord avec les ayants droit ou les successions ainsi que les grands éditeurs (les éditions Gallimard, Grasset, Plon, Le Seuil,…). Le texte lu, l'archive ou le document sonore radiophonique, le disque littéraire ou livre audio, l'histoire racontée, le discours de l'homme politique ou le cours du philosophe, la lecture d'un texte par un comédien (livres audio) sont des disques parlés appartenant au concept de la librairie sonore. (frémeaux, frémaux, frémau, frémaud, frémault, frémo, frémont, fermeaux, fremeaux, fremaux, fremau, fremaud, fremault, fremo, fremont, CD audio, 78 tours, disques anciens, CD à acheter, écouter des vieux enregistrements, cours sur CD, entretiens à écouter, discours d'hommes politiques, livres audio, textes lus, disques parlés, théâtre sonore, création radiophonique, lectures historiques, audilivre, audiobook, audio book, livre parlant, livre-parlant, livre parlé, livre sonore, livre lu, livre-à-écouter, audio livre, audio-livre, lecture à voix haute, entretiens à haute voix, parole enregistrée, etc...). Les livres audio sont disponibles sous forme de CD chez les libraires, dans les fnac et virgin, en VPC chez La Librairie Sonore, Audio-archives, Livraphone, Lire en tout sens, Livre qui Parle, Mots et Merveilles, Alapage, Amazon, fnac.com, chapitre.com etc.....Enfin certains enregistrements de diction peuvent être écouter par téléchargement auprès d'Audible (Audio direct - France loisirs) et d'iTunes (iStore d'Apple) et musicaux sur Fnacmusic.com, Virginméga et iTunes.