SUITE POUR FLUTE
Au retour des vacances, je retrouve Jean-Pierre Rampal et enfin nous décidons de mener notre vieux projet à son terme. Nous commençons à répéter la Suite pour flûte et Jean-Pierre me propose de l’enregistrer en assumant la production entre nous. Yves Chamberland, propriétaire du studio Davout, se propose d’en être le co-producteur. Il assure le studio, moi la musique, Jean-Pierre sa flûte et nous n’aurons les frais que des deux musiciens, Max Hédiguer (contrebasse) et Marcel Sabiani (batterie) qui étaient mes partenaires d’alors. La bande “master” est enregistrée le 9 octobre 1973 et le disque sort en France sous le label CY d’Yves Chamberland distribué par RCA.
Jean-Pierre Rampal, comme Alexandre Lagoya, le hautboïste Pierre Pierlot, le violoniste Patrice Fontanarosa, le violoncelliste Roland Sauvy et bien d’autres enseignaient à l’Académie nationale d’été de Nice. Dans cette belle villa du boulevard de Cimiez, le conservatoire m’avait demandé de créer une classe de piano-jazz. Ce fut l’occasion de revoir Jean-Pierre et de jouer notre Suite pour Flûte pour la première fois en public. Il était fier de montrer à ses étudiants qu’il s’encanaillait avec un musicien de jazz et exhibait à tout moment le disque de notre ‘‘Suite’’ qu’il avait emporté avec lui. Une de ses élèves américaine la découvre et lui demande la permission d’emporter le disque dans ses bagages. Cette flûtiste amateur était secrétaire chez “Masterworks”, le département classique des disques CBS à New York qui était la compagnie de disques américaine de Jean-Pierre. De retour, elle l’écoute dans son bureau à l’étonnement de ses collègues surpris d’entendre Rampal accompagné d’un piano et d’une rythmique de jazz. L’événement parvient à la direction, qui amusée à son tour et intéressée à en publier le disque, m’appelle. J’ai eu beaucoup de peine à leur faire admette que j’étais le compositeur, l’interprète et le producteur, et qu’il n’y avait pas de tractations compliquées pour publier cet enregistrement pour lequel, par la force des choses, j’étais le seul interlocuteur. Etonnés par la simplicité de l’opération, ayant l’habitude de choses compliquées avec de nombreux ayants-droit assistés d’avocats et de comptables, le disque Suite pour flûte et piano jazz trio a été finalement mis sur le marché américain et international.
Est-ce parce qu’il y a une teinte d’humour dans la musique, toujours est-il que CBS-Masterworks nous soumettent un projet de pochette qui aurait pu être issu d’un “cartoon” ou d’une bande dessinée. Jean-Pierre habitué à des couvertures d’un classicisme de bon aloi et, de plus militant antitabac, a failli en avaler sa flûte ! Laquelle, sur le dessin, fumait au lit couchée avec un piano. Mais, le piano et la flûte dans le lit d’une chambre d’hôtel de passe a tellement amusé autour et alentour, que nous nous sommes ralliés à la majorité des avis et la pochette a été admise.
L’illustrateur Roger Huyssen a créé avec grand talent et invention toutes les pochettes de ce genre nouveau de croisement de musiques que les américains ont appelé ‘‘Crossover Music’’.
Deux semaines après sa sortie, le disque était en tête au Hit-Parade du “Bilboard” classique, magazine de référence du monde du disque. Après avoir tenu les premières places pendant deux ans, la Suite pour flûte s’y est maintenue pendant 533 semaines, record de présence toutes catégories. Jean-Pierre et moi étions aussi heureux qu’étonnés car nous n’avions mis aucun ingrédient d’une musique commerciale (percussions, cordes, chœurs etc…) pour faire un succès.
Extrait de "Bolling Story" de Jean-Pierre Daubresse et Claude Bolling édité par Jean-Paul Bertrand - Editions Alphée (avec l'autorisation de Claude Bolling)